Galerie Georges-Philippe et Nathalie Vallois
Rien a priori ne rapproche l’artiste américain Martin Kersels (né en 1960 à Los Angeles, vit et travaille à New Haven, Connecticut) du peintre italien Enrico Baj (Milan, 1924 – Vergiate, 2003) de trente-cinq ans son aîné. Ils n’appartiennent pas à la même génération, ne partagent pas la même origine géographique, n’ont pas la même pratique artistique, ni les mêmes techniques plastiques. Rien, sauf un intérêt commun : les deux artistes ont produit une série de meubles dont certains sont réunis le temps d’une exposition au cours de laquelle les tableaux de Baj accrochés aux murs (série réalisée entre 1960 et 1962) répondent aux sculptures de Kersels qui, posées au sol, occupent l’espace (et qui ont été spécialement conçues par l’artiste pour l’exposition). (…) Au refus de l’autorité qui marque très tôt la personnalité d’Enrico Baj répond le travail profondément non autoritaire de Martin Kersels.
Trente-cinq ans séparent les deux artistes réunis à la faveur de leurs séries mobilières respectives. Ce rapprochement montre que les deux hommes ont bien plus en commun. S’ils ne partagent pas le même style artistique ou la même conception de l’art, l’aîné a encore besoin de cimaises pour suspendre ses peintures tandis que le cadet réalise une œuvre « qui ne s’accroche pas forcément sur un mur ou dans une vitrine ». Ils ont ce goût politique semblable qui fait de leur production plastique un plaidoyer contre l’art bourgeois. En choisissant tous deux l’absurde et le grotesque comme expression de leur travail, ils dénoncent le conformisme de la société qui est la leur. Les meubles qu’ils représentent sont cabossés, branlants, reconstitués, tordus. De leur fragilité anthropomorphe naît une résistance au conservatisme qui revendique le droit à la différence, à la précarité, à la chute. S’ils ne l’expriment pas de la même façon, mais toujours avec de l’humour, qu’il soit cynique ou nostalgique, Enrico Baj et Martin Kersels laissent tomber les masques que chacun de nous porte, perpétrant une comédie sociale dans laquelle triomphent les faux-semblants et l’hypocrisie.
Extrait du texte de Guillaume Lasserre publié dans le catalogue de lʼexposition