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En août 2025, la galerie CLEARING annonce la fermeture de ses espaces de New York et Los Angeles, mettant fin à quatorze années d’activité aux États-Unis.

Fondée à Brooklyn en 2011 par Olivier Babin, CLEARING s’était rapidement imposée comme l’une des galeries les plus influentes de sa génération, soutenant des artistes comme Harold Ancart, Marguerite Humeau, Korakrit Arunanondchai ou Meriem Bennani.

Sa trajectoire fulgurante, de Bushwick¹ au Bowery en passant par Bruxelles et Los Angeles, en faisait un symbole de l’internationalisation et de l’ambition curatoriale des galeries « intermédiaires ».

Mais sa disparition, à l’instar d’autres fermetures récentes (Marlborough, Kasmin, Venus Over Manhattan, Blum²) dépasse le cas particulier. Elle met en lumière les paradoxes structurels du marché de l’art contemporain et rejoint les constats établis récemment par le rapport Bethenod sur la fragilité des galeries françaises.

CLEARING : d’une success story à un modèle fragilisé

CLEARING est née d’un geste artisanal : Olivier Babin, artiste lui-même, ouvre son espace dans un entrepôt de Bushwick où il expose ses pairs.

Très vite, le programme attire l’attention par sa capacité à donner une visibilité muséale à une nouvelle génération d’artistes. L’ouverture à Bruxelles en 2012, puis à Los Angeles en 2020, témoigne d’une stratégie offensive, rendue possible par une demande croissante pour les artistes émergents.

Au plus fort de son activité, Babin déclare un chiffre d’affaires avoisinant les 15 M$ annuels³.

Le tournant se joue en 2023 avec le déménagement de Brooklyn vers le Bowery, dans un espace de trois étages et un loyer rapporté à 75 000 $ par mois.

L’énergie brute de Bushwick disparaît au profit d’un modèle plus institutionnel mais aussi plus lourd. L’expansion simultanée (Bowery + Los Angeles), conjuguée au départ de son partenaire Ludovico Corsini (désormais à la tête de la Galerie Ludovico Corsini à Bruxelles), fragilise l’équilibre financier.

À l’été 2025, Babin reconnaît : « plus aucun chemin viable ne se présentait. »

Le paradoxe économique des galeries

L’affaire CLEARING illustre une contradiction centrale du marché de l’art :

  • • Des marges théoriques élevées (jusqu’à 50% sur le prix de vente dans les galeries de premier marché) ;

  • • Mais une rentabilité très fragile une fois intégrés les coûts de production, d’assurance, de transport, de foires, de communication et de stockage.

Un exemple type cité par des galeristes : une exposition de 10 peintures à 10’000$ chacune peut sembler rentable. Mais si seules deux œuvres se vendent et que les frais fixes atteignent 25’000$, la perte est immédiate.

Ce constat rejoint les analyses de nombreux acteurs : la galerie intermédiaire est trop grande pour survivre frugalement comme un project space, mais trop petite pour mutualiser comme les méga-galeries. Elle se retrouve prise dans un effet ciseaux – coûts fixes en hausse, recettes volatiles.

Les données du marché de l’art global renforcent ce diagnostic.

Selon Artprice, le marché mondial des enchères d’art recule de 33,5% en 2024, tombant à 9,9 Mds $, son plus bas niveau depuis 2009.

Parallèlement, l’Art Basel & UBS Report estime la taille totale du marché (ventes privées, galeries et enchères) à 65 Mds $ en 2023, en baisse de 4%.

Ces chiffres traduisent un marché en contraction, particulièrement dur pour les structures intermédiaires qui n’ont ni l’assise financière des grandes maisons, ni la souplesse des petites initiatives.

 

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Une crise structurelle confirmée par le rapport Bethenod

Les constats du rapport Martin Bethenod (mai 2025), commandité par le Ministère de la Culture, donnent un cadre à cette crise. L’auteur note :

  • En France, la situation des galeries est préoccupante : 10 % se déclarent en grande difficulté, plusieurs enseignes historiques ont fermé (Jean Fournier, ETC, Praz Delavallade) ou se sont restructurées (Galerie Laurent Godin)
  • Réduction générale du nombre d’expositions, budget de production en baisse, fragilité accrue des micro-structures qui dominent le paysage.

Martin Bethenod insiste sur le rôle central des galeries dans l’écosystème et propose de renforcer le CNAP comme chef de file du soutien public :

  • Développer un bureau export pour aider les galeries à l’international

  • Mieux diffuser les dispositifs de financement (IFCIC, BPI)

  • Réfléchir à la question de l’immobilier à Paris, devenu un obstacle majeur

Le parallèle avec CLEARING est frappant : mêmes causes (charges fixes trop élevées, dépendance aux foires, difficulté à soutenir la production) et mêmes symptômes (réduction des expositions, impossibilité de maintenir le niveau de qualité).

"Rome is no longer in Rome" Vue de la dernière exposition de la Galerie CLEARING (de mai à juillet 2025)

La fermeture de CLEARING n’est pas seulement la fin d’une aventure individuelle, elle incarne un moment de bascule du marché de l’art.

Elle révèle la vulnérabilité d’un modèle intermédiaire, coincé entre passion curatoriale et réalité économique. Les chiffres du marché confirment une contraction qui fragilise en premier lieu les structures indépendantes.

De quoi la fermeture de CLEARING est-elle le nom ? De la fin d’une décennie d’expansion sans limite et de l’urgence d’imaginer des modèles durables pour que les galeries continuent d’assurer leur rôle irremplaçable de découverte, de diffusion et de légitimation des artistes.

RDV cet automne à Frieze London et ArtBasel Paris pour estimer la poursuite ou non de cette tendance.

Notes

[1] Bushwick et Brooklynn
Bushwick est un quartier de l’arrondissement de Brooklyn, à New York, marqué dès les années 2000 par une forte concentration d’ateliers et d’espaces d’artistes.
Il est devenu un foyer de l’art contemporain alternatif avant d’être progressivement gentrifié.
[2] Marlborough, Kasmin, Venus Over Manhattan, Blum
Plusieurs fermetures de galeries majeures ont rythmé les années 2024-2025 : Marlborough Gallery (fondée en 1946, Londres/New York, fermée en 2024), Kasmin (New York, fermée en 2025 et relancée sous une nouvelle structure), Venus Over Manhattan (New York, fondée par Adam Lindemann, fermée en 2025), et Blum (anciennement Blum & Poe, Los Angeles et Tokyo, dont Tim Blum a annoncé la fermeture en 2025).
[3] 15 M$ annuels
Olivier Babin déclarait un chiffre d’affaires avoisinant les 15 millions de dollars par an au pic d’activité de la galerie, selon une interview accordée à Katya Kazakina pour Artnet News (2023).
[4] Rapport Artprice
The Art Market in 2024, rapport annuel publié par Artprice (2025), indique que le marché mondial des enchères d’art a chuté de 33,5% en 2024, à 9,9 milliards de dollars, soit son plus bas niveau depuis 2009, malgré un nombre record de transactions (804 000 lots vendus).
[5] Rapport Art Basel / UBS
The Art Market Report 2024 (UBS & Art Basel, rédigé par Clare McAndrew) évalue la taille totale du marché mondial de l’art (enchères, galeries et ventes privées) à 65 milliards de dollars en 2023, en recul de 4 % par rapport à 2022.
[6] Martin Bethenod
Martin Bethenod (né en 1966) est un commissaire d’exposition et dirigeant culturel français.
Ancien directeur de la FIAC (2003-2010), il a ensuite dirigé le Palazzo Grassi et la Punta della Dogana à Venise pour le groupe Pinault (2010-2020).