Galerie Georges-Philippe et Nathalie Vallois
Pour l’édition 2024 de la TEFAF Maastricht, la Galerie Georges-Philippe & Nathalie Vallois présente une sélection d’œuvres allant de la fin des années 1950 à nos jours, fidèle à sa volonté de mettre en lumière les avant-gardes françaises, l’hyperréalisme américain et l’art contemporain.
« Le Chat » de Raymond Hains, daté de 1957, est significatif du Nouveau Réalisme. Cette pièce historique est l’un des premiers exemples de sa pratique, élaborée avec son ami Jacques Villeglé, consistant à récolter des affiches lacérées par des passants anonymes pour en faire des constructions abstraites de papiers superposés. Sa simplicité est typique du caractère presque abstrait de ces œuvres, démenti ici par une silhouette accidentellement figurative émergeant des affiches déchirées : les oreilles pointues et la courbe ample d’une queue de chat.
Également considéré comme un « affichiste », François Dufrêne aborde ses affiches comme le ferait un peintre ou un archéologue, travaillant le substrat et raclant jusqu’à la surface. En partant du verso des affiches plutôt que des images du recto, en dépouillant le papier couche par couche, il exhume les images fantomatiques des images, caractérisées par des nuances uniques, des tons pastel et des formes fragiles.
Une itération monumentale des affiches lacérées de Jacques Villeglé est exposée sur le stand. « Issy-les-Moulineaux » démontre la capacité de l’artiste à s’adapter aux changements sociétaux en constante évolution qui se reflètent dans le paysage urbain et au rajeunissement de sa pratique. En l’occurrence, l’ouvrage illustre les débuts d’Internet dans les années 1990 : le Minitel et son utilisation comme nouvelle alternative aux services de sexe par téléphone.
Les Nouveaux Réalistes sont également représentés à travers une remarquable sculpture unique en fer soudé de César, « L’Écorché ». Cette technique est un élément essentiel du travail de César, utilisant des déchets de fer soudés pour créer des monuments ironiques sur l’histoire de l’art et l’actualité. Ici, la double facette de la sculpture évoque le « Bœuf abattu » de Rembrandt ou les carcasses de Haïm Soutine. L’oxydation naturelle du métal, de rouille et de vert-de-gris, souligne le jeu de mots, de matières et d’images de l’artiste. Deux des expansions de César sont exposées : des sculptures issues de la prolifération aléatoire d’accumulations de mousse.
« Dragon Rouge » (1964) est une sculpture majeure et rare de Niki de Saint Phalle. Un assemblage de plâtre, de tissus divers, de jouets et de figurines forme un monstre dont les entrailles en plastique sont constituées de soldats de plomb, d’avions, d’un fusil, de chevaux et d’animaux sauvages. Le dragon dévore l’imagerie enfantine d’une certaine virilité fantasmée, mimant la guerre ; elle est d’ailleurs couronnée par une araignée dont le rôle, à la fois maternel et vorace, illustre parfaitement l’ambiguïté de la place de la femme dans l’œuvre de Niki de Saint Phalle.
Le « Tableau-piège fabriqué sous licence par Otto Hahn et Alain Jacquet » de Daniel Spoerri montre la notion ironique du conceptualisme de l’artiste. Ses tableaux-pièges typiques consistent à figer un instant dans le temps, qu’il s’agisse d’un repas terminé, d’un bureau de travail ou de toute sorte de situation qui, collée et fixée sur son support, devient un tableau. Ici, en l’absence de l’artiste, il délivre une licence, un permis de créer en son nom, en l’occurrence au critique Otto Hahn et à l’artiste Alain Jacquet. L’une des premières occurrences d’appropriationnisme réciproque, d’art conceptuel et de commentaire désinvolte de la notion de paternité, cette œuvre est un brillant exemple de l’esprit acéré de Spoerri.
« Pink » (1963) de Peter Stämpfli est une huile sur toile grand format de son époque Pop art – une série de peintures où le sujet devient un fragment, isolé dans le fond monochrome d’une grande toile. Objets, morceaux de corps ou vêtements deviennent le point de mire singulier du pinceau de l’artiste, afin de révéler et d’élever le trivial et l’inoffensif – en l’occurrence, un doigt manucuré et une bouche couleur rouge à lèvres assortie.
Complétant cette sélection d’œuvres majeures du Nouveau Réalisme, une accumulation monumentale d’hélices en bronze d’Arman orne le stand. Intitulée « 10.000 nœuds », cette pièce unique est typique du penchant d’Arman pour les jeux de mots textuels et visuels, transformés ici en un jeu de mots entre les milles marins et l’aspect entrelacé des hélices soudées, désormais inutiles.
En dialogue avec ces pièces historiques se trouvent des œuvres contemporaines de Bertrand Lavier. Sa pratique, ancrée dans l’histoire de l’art, interroge l’espace occupé par l’objet ready-made dans la peinture, et la peinture au sein du ready-made. Ici, un extincteur et une table de ping-pong deviennent des toiles peintes ; ou bien, à l’inverse, l’acte de peindre est absorbé par les objets tout faits. Les références croisées indexicales brouillent encore davantage la notion d’art et de non-art dans un dilemme imprédicatif de causalité de la poule et de l’œuf.
La sculpture « Adam et Eve » de John DeAndrea démontre l’habileté hyperréaliste de créer des sculptures si réalistes qu’on s’attend à ce qu’elles respirent. Le sujet et la représentation sont fusionnés dans une illusion destinée à préserver la ressemblance exacte d’un être aimé. La prouesse technique de DeAndrea imprègne le nu classique de détails – tâches de naissance, rides et autres défauts – qui s’éloignent de la représentation idéalisée au profit du pur réalisme. Ici, les références à l’histoire de l’art typiques de la pratique de DeAndrea sont soulignées par la représentation du mythe fondateur d’Adam et Ève.
Le travail d’Alain Bublex est imprégné de photographie et de voyages. De Paris à Hong Kong, des États-Unis au Japon, Bublex caresse l’idée du « paysage » depuis plus de vingt ans. Ici, le jeu réside dans l’hybridation : entre le dessin et la photographie, mélangés discrètement dans une seule image, et entre le passé et le présent, évoquant et réimaginant les paysages industriels dépeints par Charles Sheeler au début du XXe siècle.