
Un projet charnière dans le campus
Implanté à la jonction des deux premières phases du campus de l’Université Mohammed VI Polytechnique à Rabat, le Centre de Congrès agit comme un pivot architectural.
D’un côté, une longue avenue bordée de bâtiments aux lignes régulières ; de l’autre, un noyau plus dense et compact d’installations universitaires. Entre ces deux entités, l’édifice joue le rôle d’articulation, assurant la fluidité des circulations et la continuité des usages. Cette fonction de charnière est rendue manifeste par une série de portiques qui bordent le site, formant un seuil à la fois physique et symbolique.
Le revêtement de carreaux, identique au sol extérieur et aux parois intérieures, efface la frontière entre dehors et dedans, prolongeant naturellement l’espace public jusqu’au cœur du bâtiment. Plus qu’un simple équipement, le Centre de Congrès devient ainsi un passage habité, un lieu de rencontre où l’architecture guide le mouvement et stimule les échanges.
Quadrature du cercle comme design total
Le Centre de Congrès s’organise autour d’un dialogue entre deux formes géométriques pures : le cercle et le carré. Le cercle, matérialisé par un mur autoportant monumental, dessine un anneau protecteur qui embrasse l’ensemble du programme. En son centre, le carré abrite l’auditorium principal, cœur battant du projet, pensé comme un espace de rassemblement solennel et polyvalent. Entre ces deux volumes s’insèrent les fonctions complémentaires : auditoriums secondaires, salles de réunion, espaces de restauration et de convivialité, ainsi que les circulations et services. Cette couronne programmatique, ouverte sur l’extérieur par des cours et patios, établit un rythme spatial entre intériorité et ouverture.



Les grandes arches creusées dans le mur circulaire, ne touchant le sol qu’aux angles du bâtiment, créent une sensation d’élévation et d’accueil. Elles transforment la façade en portail monumental, invitant à franchir le seuil et affirmant la vocation du lieu : être un point de convergence où se croisent savoirs, disciplines et publics.

Itinéraire sensible au cœur du cercle
L’accès au Centre de Congrès se fait par une séquence d’entrées orchestrée comme un rituel spatial. Le visiteur est d’abord accueilli par une succession de portiques extérieurs, qui cadrent des perspectives et annoncent la monumentalité du lieu.
Une fois le seuil franchi, le parcours se déploie en cercles concentriques et lignes directrices : l’anneau périphérique invite à la déambulation, tandis que les ouvertures ménagent des vues sur le cœur carré de l’auditorium. Les patios et coursives, ouverts sur les terrains de sport et les zones boisées du campus, introduisent des respirations visuelles et des moments de pause.
Chaque déplacement est pensé pour alterner compression et dilatation de l’espace : passages étroits qui débouchent sur des volumes généreux, jeux de lumière qui guident le regard, et mobilier intégré qui ponctue la progression. Ainsi, le bâtiment ne se contente pas d’abriter des événements : il offre une véritable expérience sensorielle et urbaine.

L’intérieur comme prolongement du geste architectural
À l’intérieur, le Centre de Congrès prolonge la rigueur géométrique de son plan par une ambiance mesurée mais généreuse. Fidèle à l’approche de “total design” chère au studio Bofill, chaque détail — des matériaux aux aménagements sur mesure — participe d’une cohérence d’ensemble. Les finitions, loin d’être purement utilitaires, cultivent un dialogue entre textures, teintes profondes et rythmes architecturaux.
Le mobilier, conçu en collaboration avec BD Barcelona Design, s’intègre comme un prolongement naturel de l’architecture. Certaines pièces, aux lignes épurées et aux matériaux nobles, traduisent l’esprit méditerranéen contemporain tout en offrant un confort adapté aux usages variés du lieu.
La lumière naturelle, filtrée par les grandes arches et les ouvertures latérales, sculpte les volumes et souligne la matérialité des surfaces. Le vert profond de l’auditorium central, presque théâtral, contraste avec la clarté des espaces périphériques, créant un effet de scène qui accompagne l’expérience.


Vitruve en filigrane de l’architecture de Bofill
Dans ce jeu de correspondances entre cercle et carré, difficile de ne pas convoquer l’héritage de Vitruve³, théoricien de l’architecture romaine, qui voyait dans ces deux figures la clé des proportions idéales reliant le bâti, la nature et le corps humain.
Bofill peut s’inscrire dans cette filiation en transposant cette dialectique antique dans un geste contemporain : le carré de l’auditorium, lieu de gravité et de rassemblement, est enveloppé par le cercle protecteur du mur annulaire, espace d’ouverture et d’hospitalité.
Là où Vitruve cherchait l’harmonie universelle entre formes géométriques et existence humaine, Bofill en propose une lecture architecturale actuelle — un bâtiment qui, par sa géométrie, devient à la fois symbole de stabilité et catalyseur de rencontre.
Plus qu’un équipement universitaire, le Centre de Congrès se veut un forum contemporain : un lieu où se tissent les liens entre la communauté académique, le monde professionnel et le grand public. L’architecture elle-même traduit cette ambition d’hospitalité active. Dans un contexte marocain en pleine mutation culturelle, le bâtiment prend aussi une valeur symbolique : il incarne une nouvelle monumentalité — ancrée dans la modernité, mais attentive aux codes de sociabilité méditerranéens — où l’espace bâti est catalyseur de dialogue et de créativité collective.
Avec le Centre de Congrès de Rabat, Bofill Taller de Arquitectura signe une œuvre qui dépasse la fonctionnalité pour s’affirmer comme un geste identitaire. En conciliant rigueur géométrique, monumentalité accueillante et sens aigu du parcours, le bâtiment enrichit à la fois l’architecture du campus et la vie culturelle qui l’anime.
Dans l’héritage de Ricardo Bofill, cette réalisation témoigne d’une continuité créative : celle d’un langage architectural capable d’articuler formes pures et humanité, stratégie urbaine et soin du détail. Au-delà de Rabat, ce projet s’inscrit dans le débat plus large sur la place de l’architecture publique contemporaine dans les pays en transformation, affirmant qu’un bâtiment peut être à la fois monument et passerelle, objet de contemplation et moteur d’échanges.
Caractéristiques
Localisation : Rabat, Maroc
Surface : 11 500 m²
Achèvement : 2024
Architecte : Bofill Taller de Arquitectura
CEO : Pablo Bofill
Design Principal : Hernan Cortes
Management : Javier Guardiola
Landscape design : Vivian Rotie
Design intérieur : BD Barcelona
Photographies : Gregori Civera, Max Farago, Hernan Cortes
Notes
[1] Bofill Taller de Arquitectura
Fondé en 1963 par Ricardo Bofill (1939–2022), le Taller a marqué l’architecture contemporaine par ses formes géométriques audacieuses et sa vision urbaine. Depuis 2022, son fils Pablo Bofill dirige le studio, poursuivant l’héritage paternel tout en inscrivant l’agence dans une nouvelle étape de création internationale.
[2] Hospitalité méditerranéenne
Peut être rapprochée de la xenia grecque, tradition antique où l’accueil de l’étranger incarnait une valeur civique et sacrée.
[3] Vitruve
Marcus Vitruvius Pollio (env. 80–15 av. J.-C.), architecte et ingénieur romain, est l’auteur du traité De Architectura, seul ouvrage complet d’architecture de l’Antiquité parvenu jusqu’à nous. Composé de dix livres, il expose les principes de la construction, de la proportion et de l’urbanisme, et influencera toute la pensée architecturale de la Renaissance jusqu’à l’époque moderne.

Jacopo Bernardi, Vitruve, 1823