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Transformée en laboratoire d’expérimentations, la Galleria Continua de San Gimignano accueille jusqu’au 7 septembre Present Tense, l’exposition d’Arcangelo Sassolino.

L’artiste italien y présente une série d’œuvres inédites où la matière devient une scène ouverte, toujours en transformation, toujours insaisissable.

On pense immédiatement à Héraclite et à son « panta rhei¹ » – tout s’écoule – tant chaque pièce semble rappeler que le présent ne peut être saisi qu’au moment où il disparaît déjà.

Arcangelo Sassolino Present tense, Galleria Continua, 2025

L’huile comme sculpture vivante

Au centre de cette recherche : l’huile industrielle. Fluide, dense et opaque, elle se déverse sur des disques et surfaces métalliques, s’étale, se contracte, se disperse.

Loin d’être un simple matériau, elle devient sculpture vivante. Lucrèce, dans son De rerum natura², décrivait l’univers comme une combinaison infinie d’atomes en chute, toujours recomposés par le hasard du clinamen.

De même, l’huile de Sassolino, arrachée au sous-sol terrestre après des millions d’années, rappelle la danse perpétuelle des éléments, instables, fugitifs, jamais fixés. Les sculptures mobiles tournent sur elles-mêmes sans discontinuer.

Arcangelo Sassolino “Present Time” une matière qui échappe au présent 11

Le conflit comme moteur créatif

Depuis plus de trente-cinq ans, Sassolino construit une œuvre au croisement de l’art, de la physique et de la mécanique. Pour lui, la sculpture n’est pas une forme arrêtée mais un processus autonome, une métamorphose en acte. Ici réside le « conflit » qu’il revendique : entre contrôle et imprévu, tension et fragilité.

Ses œuvres rejoignent par certains aspects les expériences chimiques de Hicham Berrada³, mais elles s’en distinguent par leur intensité mécanique, presque tragique.

Vitruve, dans son De architectura, insistait sur l’équilibre des forces comme fondement de toute construction ; Sassolino déplace ce principe en montrant que l’équilibre n’est jamais qu’une tension provisoire, une suspension vouée à se rompre.

Arcangelo Sassolino “Present Time” une matière qui échappe au présent 15
Arcangelo Sassolino “Present Time” une matière qui échappe au présent 15

Le présent qui fuse et qui fuit

Dans Present Tense, chaque goutte tombée, chaque dispersion irréversible marque le passage du temps. L’instant se montre, puis s’efface ; il laisse une empreinte fragile avant de disparaître.

Ces œuvres deviennent ainsi un miroir de notre propre condition : éphémère et fragile.

Elles rappellent les vanités antiques et romaines qui, sous leurs symboles de fleurs fanées et de sabliers, enseignaient la perte inévitable.

Chez Sassolino, ce memento mori prend une forme contemporaine : non plus figée, mais en mouvement, dans une lutte permanente entre gravité et fluidité. Là réside la force de Present Tense : transformer la matière en temps, et le temps en expérience esthétique partagée.

Present Tense n’est pas un aboutissement mais une étape dans un parcours où la matière se pense toujours en devenir.

On se souvient de Diplomazija Astuta (Biennale de Venise, 2022), où l’acier en fusion réinterprétait Caravage dans une dramaturgie de feu et de gravité, ou encore de Memory of Becoming (Biennale d’Art Islamique de Jeddah, 2025), immense disque tournant qui confrontait le spectateur à une mécanique cosmique.

L’exposition de la Galleria Continua à San Gimignano prolonge cette logique : chaque œuvre, loin de se clore sur elle-même, ouvre un espace de réflexion sur le futur de la sculpture, entendue non comme forme fixe mais comme énergie, transformation.

À travers ces expériences, Sassolino renoue peut-être avec l’intuition antique selon laquelle toute chose est flux et métamorphose.

Arcangelo Sassolino “Present Time” une matière qui échappe au présent dernier

Notes

[1] Héraclite d’Éphèse (VIe-Ve siècle av. J.-C.)
L’un des grands penseurs présocratiques. Il est célèbre pour son aphorisme « panta rhei » (« tout s’écoule »), exprimant l’idée que le monde est en perpétuel devenir et qu’on ne peut jamais entrer deux fois dans le même fleuve.

Héraclite

Héraclite

[2] Lucrèce (Ier siècle av. J.-C.),
Philosophe et poète latin, est l’auteur du traité De rerum natura (De la nature des choses), où il expose la doctrine épicurienne de l’atomisme.
Selon lui, les atomes chutent dans le vide mais connaissent une légère déviation imprévisible — le clinamen — qui engendre la rencontre et la création des formes.
Cette pensée du hasard et de la métamorphose résonne avec l’art de Sassolino, où l’instabilité et l’imprévu deviennent moteurs de la création.
[3] Hicham Berrada (né en 1986, à Casablanca)
Artiste franco-marocain dont la pratique associe art et science. Formé à l’École des Beaux-Arts de Paris et à l’ENS de Chimie, il utilise des réactions chimiques et des protocoles scientifiques pour créer des environnements visuels en constante transformation.
Ses œuvres, entre laboratoire et paysage, donnent à voir des métamorphoses naturelles ou artificielles comme autant de microcosmes en devenir.
[4] Vitruve (Marcus Vitruvius Pollio, Ier siècle av. J.-C.)
Architecte et ingénieur romain, auteur du traité De architectura. Ce texte fondateur de la théorie architecturale occidentale développe l’idée que toute construction doit répondre à trois principes : la solidité (firmitas), l’utilité (utilitas) et la beauté (venustas).
Sa pensée, centrée sur l’équilibre des forces et l’harmonie des proportions, éclaire en contrepoint le travail de Sassolino, qui explore lui aussi la tension entre stabilité et fragilité, mais en assumant l’impermanence et l’instabilité du monde contemporain.

Photos : Ela Bialkowska, OKNO Studio