Le vilain petit canard de l’art ?
Alors que le jeu vidéo est parvenu à s’imposer comme véritable phénomène culturel ces dernières décennies, on peut constater qu’aujourd’hui encore il soulève bon nombre de controverses, débats et critiques. La raison de ces discordes – pour les académiciens, critiques, journalistes et même du public – repose sur la question du statut que l’on doit accorder au jeu vidéo. Cette question n’a rien d’évident étant donné que le jeu vidéo, défini comme : un jeu électronique, nécessitant une interaction humaine avec une interface afin d’établir un lien audiovisuel et pouvant utiliser différents supports (console, ordinateur, smartphone), est purement commercial et n’a d’autre ambition que de divertir.
On a l’impression de revivre un débat passé puisque l’indécision sur le statut du jeu vidéo rappelle étrangement les difficultés à légitimer le cinéma, avant que celui ci ne devienne le septième art. En effet, bien que le cinématographe existait depuis 1895, il a fallu attendre les années 20 pour que des initiatives pour la conservation et l’exposition du cinéma des premiers temps soient mises en place.
Aux États-Unis, le jeu vidéo a officiellement été reconnu en tant qu’art par la National Endowment for the Arts (Fondation Nationale Américaine pour les Arts) en 2011. En Corée du Sud et au Japon, il est même considéré comme une institution et un art majeur.
Le jeu vidéo devient “musée-friendly”
Le débat est toujours le même : « Le ludique exclut-il l’artistique ? » . Mais on constate aujourd’hui que le jeu vidéo connaît une véritable consécration ces dernières années. De nombreuses manifestations et institutions contribuent à faire découvrir l’univers vidéoludique à toutes les générations de public et à en légitimer la création. Par exemple, le Musée Art Ludique avec son exposition « L’art dans le jeu vidéo » entre 2015 et 2016 et « Game Story », tenue au Grand Palais en 2012.
L’association MO5.COM (qui réunit des collectionneurs, des conservateurs de patrimoine, des journalistes spécialisés, des passionnés, des chercheurs, etc) a co-organisé les expositions « MuseoGames » qui a pris place au Musée des Arts et Métiers entre 2010 et 2011.
Tout comme l’ancien ministre de la Culture Frédéric Mitterrand, MO5 défend le projet-création d’un musée national du jeu vidéo qui verra peut-être le jour dans quelques années.
Si de nombreuses expositions temporaires ont été consacrées à l’univers vidéoludique, le Museum of Modern Art de New York a lançé en 2013 une exposition permanente avec une dizaine de jeux appartenant à différentes époques et esthétiques.
Citons aussi les différentes manifestations comme La Paris Games Week, le Festival International des Jeux ou encore le festival I Love Transmedia, qui participent également à cet effort d’ancrer le jeu vidéo dans le patrimoine culturel français et mondial.
Sans oublier les Video Games Live qui se démocratisent toujours plus et permettent de conjuguer sorties-concerts avec le plaisir de redécouvrir des musiques de jeux vidéo interprétées par des orchestres. Ces institutions permettent donc une véritable démarche de légitimation et de reconnaissance du jeu vidéo, devenant ainsi une pratique sociale incontestable.
Mais comment exposer le jeu vidéo ?
C’est presque une tarte à la crème aujourd’hui : si on va au musée, c’est pour y voir des tableaux, des sculptures, des installations, ou même des performances.
Exposer le jeu vidéo, c’est quasiment antithétique car, tout comme le cinéma, c’est un “art” total qui ne va pas se suffir à lui-même dans un cadre d’exhibition. Après tout, il n’existe pas sans une interaction avec un joueur, et on imagine mal des musées se transformer en salles d’arcades pour geeks en sursis.
Les institutions prenant le parti de s’ouvrir à l’industrie vidéoludique parviennent à montrer son intérêt en l’incorporant dans de grandes thématiques sociales, technologiques, historiques ou artistiques. C’était le cas pour Art Ludique le Musée et son exposition “L’Art dans le Jeu Vidéo”, qui a su faire le parallèle entre les jeux et des grands courants artistiques et littéraires (Renaissance, romantisme, steampunk…). Le MoMA avec son exposition permanente retrace l’histoire de l’évolution du jeu vidéo (aussi bien ergonomique que technologique) sous un angle plutôt socio-historique.
Bien entendu, l‘univers vidéoludique ne se réduit pas à un jeu ou une console. C’est pourquoi les expositions qui lui sont dédiées sont enrichies par des pièces de collections telles que des goodies, des figurines, des hors séries, qui sont devenues au fil du temps de véritables fétiches.
Les archives de jeu vidéo ont pris de la valeur ces derniers temps. Il en existe très peu car les sociétés de production n’ont pas décelé leurs potentiels historiques et artistiques assez tôt. Ce sont des documents originaux précieux qui accompagnent le processus de création des jeux vidéo. Les scénarios, les concept arts (dessins en 2D précédant la 3D), les storyboards, les cahiers des charges (la bible du jeu qui comporte les noms des professionnels, l’agenda, le financement, etc…) en font partie.
Tous ces éléments constituent une plongée au coeur de la production vidéoludique : le travail artistique qu’elle requiert (création d’univers, de personnages, de scénario) et les prouesses numériques.
Bons plans sorties
Si ça vous a convaincu, voici quelques expositions sur le jeu vidéo à ne pas manquer en ce moment. “Game, le jeu vidéo à travers le temps” à l’Espace Fondation EDF qui se tiendra jusqu’au 27 août 2017, fait une rétrospective de l’histoire du jeu vidéo en présentant une soixantaine de jeux, dont la moitié jouables. Petit bonus : la gameboy géante interactive. Son ambition serait de rapprocher les générations autour du jeu : ”Les plus jeunes peuvent ainsi expliquer « leur » jeu vidéo aux parents et ces derniers joueront avec eux aux souvenirs ludiques de leur enfance”.
Plus centré sur le jeu au sens large, “Hello my game is… Invader” au Musée en Herbe ravira les plus jeunes et les incontournables de l’artiste. L’exposition propose quelques bornes d’arcades mais le plus fun reste l’immersion dans l’univers de Space Invader. Il reste du temps pour y passer un bon moment car elle se termine le 3 septembre.
Game Culture
Aujourd’hui, notamment grâce aux expositions centrées autour de l’industrie vidéoludique, les jeux vidéo acquièrent une culture muséale et le public développe de lui-même un intérêt artistique pour eux.
Ainsi mis en valeur, ils deviennent une véritable source d’inspiration et, oserons-nous le dire, un art à part entière. Le game designer Chris Crawford (auteur de The Art of Computer Game Design) affirme que le jeu vidéo ne peut plus être réduit à ses prouesses technologiques ; c’est un art proposant, au même titre qu’un livre ou une peinture, une expérience d’imagination et une stimulation des émotions.
Notre vie s’inspirera certainement toujours plus des jeux vidéo. Le chercheur Sébastien Genvo parle même de « gamification » de la société, dans le sens où on associe à nos activités des « mécanismes ludiques ». Par exemple : le Musée du Louvre a remplacé ses audioguides par des nintendo 3DS afin de faire de la visite un moment éducatif et ludique.
Par Mathilde Cannarella